Valérie Herbin
Le portrait onirique de Valérie Herbin
Je ne sais plus pourquoi je suis dans l’eau. Un étang à Bruxelles ? Une cascade au Québec ? Le rêve est un film. Plusieurs caméras. Je ressens l’eau, je me vois glisser ou plonger ou m’enfoncer, je vois derrière moi, devant moi, je vois l’étendue, le paysage, la lumière. Je vois tout et je ressens tout. Je sens un poids dans le dos, les épaules. Mon corps entre dans l’eau et je me sens léger. Un sac à dos, rempli de livres. Tout prend l’eau, le poids, c’est trop lourd. Je me croyais en sécurité et voilà que le courant s’accélère, de petits tourbillons, une vague, tout me submerge, je pique une tête sous l’eau et je suis attiré par une lumière bleue, bleue et jaune, l’entrée de quelque chose, une matrice. Je perds confiance, je perds conscience. Suis-je mort ? Non, vivant plus que jamais. Dans les pigments d’une toile. Au fond de l’eau, deux êtres méditent, front contre front, ils visualisent l’objet du désir de l’autre. Mon rêve est devenu psychédélique, je nage dans une lampe à lave, je rejoins la lampe à plasma.
Je me soulève, le réveil est tendre. La peau frémit. Ludovic Drouet a écrit : Un jour, il a neigé sur mon chemin. Et moi, j’étais parmi la neige (1). Un jour elle a rêvé. Et moi, j’étais parmi le rêve. J’entends la voix d’une femme qui fredonne dans une autre pièce de cet immeuble onirique. Je suis en quête de libertés, d’absurdités, de fluidité. Elle peint. Elle fredonne et elle peint. Je suce un Werther’s Original. Elle pense à haute voix. Elle sait que je suis là. Vous avez bien dormi, Patrick Lowie ?, me dit-elle, hier vous m’avez dit que je vous devais un rêve. J’ai réfléchi au songe. Mais j’ai un sommeil tellement profond que je ne m’en souviens jamais. De plus, les seuls rêves dont je me souviens, ne sont ni poétiques ni emblématiques. Elle reste concentrée, ne se retourne pas, m’oublie même. J’observe un homme dans le jardin de mimosas. Ses cheveux sont lisses et coupés courts. Tondus jusqu’au-dessus de petites oreilles. Un autre homme porte une sorte de perruque de plumes bleues. Une perruque très épaisse qui lui couvre tout : les oreilles, la nuque, le cou, et collée aux cheveux, plume par plume avec de la résine de lentisque. Les murs de la chambre changent de couleur. Trop de leds, d’hallucinations, pas assez de néons. Je me présente, insiste l’artiste, je suis Valérie Herbin. Elle parle en chantant, j’ai l’impression de reconnaître Come di de Paolo Conte. Je pense que je ne rêve que lorsque je peint. Je ne dors pas. Je suis éveillée. Mon conscient et mon inconscient sont hyperconnectés lorsque je touche la toile. Je vais peut-être vous décevoir. Vos yeux deviennent transparents. Vous ressemblez à un poisson. J’espère que vous n’avez pas touché la bouteille de vin persane en verre vert posée sur la petite table ? Je lui dis que je n’ai touché à rien, mais c’est faux, je me suis servi un peu d'élixir. Bref, je rêve quand je peins. J’ai la sensation d’entendre de l’eau couler sur mon corps, dans mes oreilles, je n’entends plus ce qu’elle me dit. J’ai envie de dormir. Dormir à sa place, rêver à sa place. Le baume de Judée me transperce les narines. Rêver n’est-ce pas méditer la nuit ? Dans la journée, face à ma toile, il m’arrive d’être en grande concentration, envahie par les réflexions et les recherches d’idées, je pense que ça aussi c’est de la méditation. Un rêve. Un jour, en cherchant le titre pour une exposition, entre deux coups de pinceaux, entre deux chants d’oiseaux, entre deux plumes, un mot me vint à l’esprit, je l’ai vu entrer dans mon esprit. Je me suis demandé d’où cela pouvait bien venir. Je lui explique que le volcan Imyriacht crée et crache des mots. Je sais , me dit-elle, mais ça ne venait pas de Mapuetos. Il est arrivé comme ça dans ma tête. Écomorphisme. Valérie Herbin, d’un geste de la main, tente de rattraper le mot qui semblait vouloir fuir. Nos rêves inventent-ils des mots ? Le volcan central de Mapuetos est-il le créateur de nouveaux mots ? Elle m’explique qu’elle a eu la même réaction que moi. Moi aussi j’ai rêvé de Mapuetos, moi aussi j’ai regardé sur le web et je n’ai rien trouvé. Dans aucun dictionnaire, dans aucune version, aucune langue. Ces mots qui apparaissent en méditant ou en rêvant, du mystère de nos vies, de l’étrangeté de nos présences sur cette planète. L’eau coule encore, mon visage dégouline. Mes sens se mélangent, j’entends avec mes yeux. C’est quoi de l’écomorphisme ? Je n’ai jamais fait de latin ou de grec… lui dis-je sans honte. Elle m’explique mais je ne comprends pas, mes nageoires prolongent des omoplates qui disparaissent. D’autres poissons colorés me rejoignent. Les pièces de la maison deviennent des aquariums. Une main d’homme dépose des aliments secs, des flocons à la surface de l’eau. Il plonge son bras et remet la figurine de Valérie Herbin en place. Les bulles du filtre déplacent régulièrement son chevalet. On récupère les flocons. On mange. J’observe cette nouvelle forme d’art née du lieu, du climat, du territoire, mon écriture façonnée par l’environnement. J’aimerais écrire avec mes écailles. Ressentir grâce aux ondes de l’eau. L’aquarium déborde, nous plongeons dans une nouvelle réalité. Valérie Herbin m’observe, le mot flotte entre nous, comme une algue lumineuse qu’aucune main ne peut saisir. Je comprends alors que certaines œuvres ne cherchent pas à être comprises, mais à être habitées. L’écomorphisme n’est ni une théorie ni un style : c’est une respiration partagée entre un lieu, un corps et une forme. Je sors de l’eau sans être vraiment sec, avec la sensation que quelque chose a changé dans ma manière de regarder. Le rêve continue, simplement, ailleurs.
(1) Derrière l’hôtel, Ludovic Drouet, ed. Déambulations chercheuses
Biographie
Valérie Herbin est une artiste plasticienne autodidacte, voyageuse et aventurière. Née en 1964 à Paris (France), elle reçoit sa première récompense nationale en 1978 et se forme aux techniques de l’Art auprès d’artistes et en résidences dès 1981.Après des études supérieures en langues orientales, elle s’installe en 1999 à Casablanca (Maroc). Elle passe également quatre ans en Afrique centrale (Tchad) et équatoriale (Gabon), où elle approfondit son travail sur les matières et la lumière. Elle vit et travaille actuellement à Casablanca, expose internationalement. Ses œuvres ont rejoint de nombreuses collections de plusieurs continents. Si son travail s’apparente au surréalisme, à l’évidence, sa connexion à la Nature, à l’Afrique, à l’Orient est bien réaliste.Elle a développé un visuel et une technique propres, une abstraction symbolique à la limite d’un réalisme fantasmagorique et organique de la matière, une sorte d’écomorphisme, un questionnement sur les liens fragiles du vivant avec son environnement et les ruptures profondes entre ces mondes qu’elle reconnecte.
Je me soulève, le réveil est tendre. La peau frémit. Ludovic Drouet a écrit : Un jour, il a neigé sur mon chemin. Et moi, j’étais parmi la neige (1). Un jour elle a rêvé. Et moi, j’étais parmi le rêve. J’entends la voix d’une femme qui fredonne dans une autre pièce de cet immeuble onirique. Je suis en quête de libertés, d’absurdités, de fluidité. Elle peint. Elle fredonne et elle peint. Je suce un Werther’s Original. Elle pense à haute voix. Elle sait que je suis là. Vous avez bien dormi, Patrick Lowie ?, me dit-elle, hier vous m’avez dit que je vous devais un rêve. J’ai réfléchi au songe. Mais j’ai un sommeil tellement profond que je ne m’en souviens jamais. De plus, les seuls rêves dont je me souviens, ne sont ni poétiques ni emblématiques. Elle reste concentrée, ne se retourne pas, m’oublie même. J’observe un homme dans le jardin de mimosas. Ses cheveux sont lisses et coupés courts. Tondus jusqu’au-dessus de petites oreilles. Un autre homme porte une sorte de perruque de plumes bleues. Une perruque très épaisse qui lui couvre tout : les oreilles, la nuque, le cou, et collée aux cheveux, plume par plume avec de la résine de lentisque. Les murs de la chambre changent de couleur. Trop de leds, d’hallucinations, pas assez de néons. Je me présente, insiste l’artiste, je suis Valérie Herbin. Elle parle en chantant, j’ai l’impression de reconnaître Come di de Paolo Conte. Je pense que je ne rêve que lorsque je peint. Je ne dors pas. Je suis éveillée. Mon conscient et mon inconscient sont hyperconnectés lorsque je touche la toile. Je vais peut-être vous décevoir. Vos yeux deviennent transparents. Vous ressemblez à un poisson. J’espère que vous n’avez pas touché la bouteille de vin persane en verre vert posée sur la petite table ? Je lui dis que je n’ai touché à rien, mais c’est faux, je me suis servi un peu d'élixir. Bref, je rêve quand je peins. J’ai la sensation d’entendre de l’eau couler sur mon corps, dans mes oreilles, je n’entends plus ce qu’elle me dit. J’ai envie de dormir. Dormir à sa place, rêver à sa place. Le baume de Judée me transperce les narines. Rêver n’est-ce pas méditer la nuit ? Dans la journée, face à ma toile, il m’arrive d’être en grande concentration, envahie par les réflexions et les recherches d’idées, je pense que ça aussi c’est de la méditation. Un rêve. Un jour, en cherchant le titre pour une exposition, entre deux coups de pinceaux, entre deux chants d’oiseaux, entre deux plumes, un mot me vint à l’esprit, je l’ai vu entrer dans mon esprit. Je me suis demandé d’où cela pouvait bien venir. Je lui explique que le volcan Imyriacht crée et crache des mots. Je sais , me dit-elle, mais ça ne venait pas de Mapuetos. Il est arrivé comme ça dans ma tête. Écomorphisme. Valérie Herbin, d’un geste de la main, tente de rattraper le mot qui semblait vouloir fuir. Nos rêves inventent-ils des mots ? Le volcan central de Mapuetos est-il le créateur de nouveaux mots ? Elle m’explique qu’elle a eu la même réaction que moi. Moi aussi j’ai rêvé de Mapuetos, moi aussi j’ai regardé sur le web et je n’ai rien trouvé. Dans aucun dictionnaire, dans aucune version, aucune langue. Ces mots qui apparaissent en méditant ou en rêvant, du mystère de nos vies, de l’étrangeté de nos présences sur cette planète. L’eau coule encore, mon visage dégouline. Mes sens se mélangent, j’entends avec mes yeux. C’est quoi de l’écomorphisme ? Je n’ai jamais fait de latin ou de grec… lui dis-je sans honte. Elle m’explique mais je ne comprends pas, mes nageoires prolongent des omoplates qui disparaissent. D’autres poissons colorés me rejoignent. Les pièces de la maison deviennent des aquariums. Une main d’homme dépose des aliments secs, des flocons à la surface de l’eau. Il plonge son bras et remet la figurine de Valérie Herbin en place. Les bulles du filtre déplacent régulièrement son chevalet. On récupère les flocons. On mange. J’observe cette nouvelle forme d’art née du lieu, du climat, du territoire, mon écriture façonnée par l’environnement. J’aimerais écrire avec mes écailles. Ressentir grâce aux ondes de l’eau. L’aquarium déborde, nous plongeons dans une nouvelle réalité. Valérie Herbin m’observe, le mot flotte entre nous, comme une algue lumineuse qu’aucune main ne peut saisir. Je comprends alors que certaines œuvres ne cherchent pas à être comprises, mais à être habitées. L’écomorphisme n’est ni une théorie ni un style : c’est une respiration partagée entre un lieu, un corps et une forme. Je sors de l’eau sans être vraiment sec, avec la sensation que quelque chose a changé dans ma manière de regarder. Le rêve continue, simplement, ailleurs.
(1) Derrière l’hôtel, Ludovic Drouet, ed. Déambulations chercheuses
Biographie
Valérie Herbin est une artiste plasticienne autodidacte, voyageuse et aventurière. Née en 1964 à Paris (France), elle reçoit sa première récompense nationale en 1978 et se forme aux techniques de l’Art auprès d’artistes et en résidences dès 1981.Après des études supérieures en langues orientales, elle s’installe en 1999 à Casablanca (Maroc). Elle passe également quatre ans en Afrique centrale (Tchad) et équatoriale (Gabon), où elle approfondit son travail sur les matières et la lumière. Elle vit et travaille actuellement à Casablanca, expose internationalement. Ses œuvres ont rejoint de nombreuses collections de plusieurs continents. Si son travail s’apparente au surréalisme, à l’évidence, sa connexion à la Nature, à l’Afrique, à l’Orient est bien réaliste.Elle a développé un visuel et une technique propres, une abstraction symbolique à la limite d’un réalisme fantasmagorique et organique de la matière, une sorte d’écomorphisme, un questionnement sur les liens fragiles du vivant avec son environnement et les ruptures profondes entre ces mondes qu’elle reconnecte.
